"Il n'avait pas pleuré lors de son emprisonnement par les Allemands, ni même quand on lui amputa sa jambe. Mais le 20 août 1953, des larmes coulèrent à l'annonce de l'exil du Sultan Mohammed Ben Youssef." C'est ainsi que Naïma Lahbil Tagemouati décrit son père, Si Bekkaï Ben M'barek Lahbil, dans son dernier ouvrage "Qui est Si Bekkaï" présenté vendredi soir à Paris.
Le parcours de cet homme, né à Berkane en 1907, illustre la complexité des relations franco-marocaines du XXe siècle. "Si Bekkaï connaissait la France de l'intérieur", explique sa fille lors d'une rencontre à la Fondation Maison du Maroc. Formé à l'école militaire de Meknès, il combat aux côtés des Français contre les nazis en 1940, avant d'être capturé et amputé d'une jambe.
Cette expérience forge un homme capable de tenir un "discours nuancé et d'ouverture", qui le mène naturellement à devenir le premier chef de gouvernement du Maroc indépendant en 1955. "Il revendiquait publiquement et inlassablement sa fraternité pour la France tout en restant loyal au Maroc", souligne l'auteure, qui révèle un "carnet d'adresses incroyable" dans les sphères financières, politiques et médiatiques françaises.
Le destin de Si Bekkaï est marqué par un traumatisme d'enfance : à sept ans, il assiste impuissant à l'enlèvement de son père, chef tribal des Béni Snassen opposé à l'occupation française. Cette blessure personnelle n'entame pourtant pas sa capacité à bâtir des ponts entre les deux nations, jusqu'à signer les traités d'indépendance avec Paris le 2 mars 1956 et Madrid le 7 avril.
L'ouvrage, qui sera bientôt adapté en bande dessinée, s'inscrit dans une démarche plus large de transmission de l'histoire marocaine aux jeunes générations. "Ce livre a été écrit pour faire connaître l'histoire du Maroc à travers des personnages clés", précise Naïma Lahbil Tagemouati, professeure d'économie et membre du Conseil d'administration du Fonds International pour la Promotion de la Culture à l'UNESCO.